Montag, 13. August 2012

Le Sénégal ou l'exception africaine


                                                                                                                                   

Mr. Souleymane Sokome juriste et politologue (Photo)















Souleymane Sokome est originaire du nord du Sénégal plus précisément de la commune de Hamady-Ounaré, située dans la région de Matam. Après avoir obtenu son baccalauréat au Lycée Mixte Maurice de Lafosse de Dakar et son Diplôme d´Etudes Universitaires Générales (D.E.U.G) au Département de Langues et Civilisations Germaniques de l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il poursuivra ses études supérieures en Allemagne et en France, où il sera diplômé des sciences politiques et juridiques option relations internationales et droit européen et international des universités de Francfort, de Lumière 2 de Lyon et de l´institut européen de l´université de la Sarre.
Dans l´interview qu´il nous a accordée, il donne son point de vue sur la démocratie africaine en général et sénégalaise en particulier, les cinquante années d´indépendance du continent et sur la situation qui prévaut actuellement dans la sous-région ouest africaine.

Le Sénégal est présenté le plus souvent comme étant un modèle en matière de démocratie et d’Etat de droit, qu’en pensez-vous ?

Soixante ans après les indépendances, les régimes démocratiques restent minoritaires sur le continent africain. La plupart des Etats, sans être forcément autoritaires ou répressifs, ne respectent pas les préceptes de l´Etat de droit et favorisent le maintien au pouvoir d´une élite politique voire économique bien souvent à base ethnique. Ces Etats ne respectent pas les règles du pluralisme politique, les Droits de l´homme ou les libertés fondamentales et les transitions démocratiques. En outre, le continent africain a connu entre quatre vingt et quatre vingt cinq coups d´état au cours des cinq dernières décennies. En Afrique de l´Ouest excepté le Sénégal et le Cap-Vert tous les autres pays ont connu des transitions anti-démocratiques. Le Sénégal n´a jamais connu de coup d´Etat.
Si on se base sur cette analyse globale de la démocratie africaine et sans être arrogant, on peut dire que le Sénégal offre une singularité d´être l´un des pays les plus fiables en matière de démocratie en Afrique subsaharienne. La deuxième alternance politique qui vient de se produire au plus haut sommet de l´Etat sénégalais confirme la règle. Une belle leçon de démocratie qui devrait inspirer bien des pays du continent.

A votre avis qu’est ce qui fait le fondement de cette culture démocratique au Sénégal ?

La particularité de la démocratie sénégalaise s´explique par son passé. Le Sénégal a entrepris, bien avant les autres pays africains, de libéraliser sa vie politique, faisant ainsi oeuvre de pionnier sur le continent.
Pendant la colonisation, à la fin du XIXe siècle, l’Assemblée nationale française avait reconnu la citoyenneté aux Sénégalais des quatre communes (Dakar, Saint Louis, Gorée et Rufisque) qui pouvaient donc voter et se présenter aux élections. Dès les années 1970, alors que la plupart des pays d’Afrique subissaient des régimes de parti unique, le Président Léopold Sedar Senghor avait ouvert le pays au multipartisme en reconnaissant quatre formations politiques pour ensuite l´élargir définitivement et le transformer au multipartisme intégral c´est à dire illimité en 1981. Des mouvements politiques et syndicaux de toutes sortes ont pu développer leur action. L’existence d’une « tradition démocratique » sénégalaise existait aussi au-delà de la période coloniale par la prééminence même dans nos royaumes d’un espace public élargi dans laquelle figurait déjà une diversité d’acteurs. Le respect des libertés publiques et individuelles et notamment la liberté de la presse ainsi que la maturité des institutions et des citoyens constituent de nos jours les fondements de la culture démocratique au Sénégal.

Au Sénégal on décompte plus d’une centaine de partis politiques, à votre avis est ce que démocratie veut dire inflation de partis politiques ?

Au Sénégal lors des élections présidentielles de 2012, 174 partis politiques ont été recensés comme légalement constitués par le Ministère de l´intérieur. Etymologiquement, la démocratie signifie la souveraineté du peuple, qui est l'expression de la volonté générale. Et il n'y a pas de souveraineté du peuple sans représentativité. Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser", écrivait Montesquieu en 1748 dans De l'esprit des lois. La pluralité politique est avec le multipartisme au coeur du bon fonctionnement de la démocratie, et constitue de ce fait un rempart contre ces éventuels abus de pouvoir. Par contre il faut souligner qu´au Sénégal le multipartisme entraine souvent des problèmes qui sont entre autres l´absence de véritables projets de société, la prédominance de la doxa sur la mort des idéologies, les alliances contre nature pour la sauvegarde complice d´intérêts, les querelles de positionnement et de tendance qui priment sur l´intérêt général mais aussi la personnalisation des partis politiques. Ce n'est pas la démocratie qui est en crise dans notre pays, c'est la représentativité.
Le multipartisme intégral peut être utile dans une démocratie mais pas forcément nécessaire c´est le cas des Etats-Unis ou la République fédérale d´Allemagne qui ne fonctionnent pas sur le modèle démocratique pluraliste.

Pensez-vous qu’il y a un modèle de démocratie à la sénégalaise?

Pour moi il n´y a pas un modèle de démocratie à la sénégalaise. La démocratie fonctionne sur la base de certaines conditions bien définies. Il ne suffit pas seulement de mentionner l’expression « démocratie » dans nos constitutions par contre , il faut que le régime instauré, qu’il soit parlementaire, présidentiel ou semi-présidentiel etc… respecte un certain nombre de conditions (car il n´y a aucune démocratie parfaite au monde), lesquelles sont absolument indispensables pour voir une véritable démocratie se dessiner : La souveraineté du peuple à travers le suffrage universel, « la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » affirmait Abraham Lincoln. Par le peuple, cela veut dire que c'est le peuple – et lui seul – qui choisit ses élus. Et pour que la totalité du peuple – ou du moins la plus grande partie – exprime sa volonté, il n'y a qu'une seule solution: l'instauration du suffrage universel. Le pluralisme politique, pour que la liberté de vote ne reste pas lettre morte, il est indispensable que les électeurs aient la possibilité de choisir leurs représentants. Pour ce faire, faut-il qu'ils puissent choisir entre différentes formations politiques, entre différents programmes politiques, et entre différents candidats. La garantie des libertés fondamentales, comment imaginer une démocratie sans liberté de penser, de s'exprimer ou encore de se réunir pour débattre des thématiques fondamentales de la société ? La sauvegarde des libertés fondamentales sont primordiales, essentielles et vitales. Il est nécessaire de rattacher ces libertés fondamentales au mouvement du libéralisme politique, historiquement construit contre l'absolutisme. A ces trois grandes conditions indispensables à la démocratie, il est tout à fait possible d'en voir d'autres, par exemple la séparation des pouvoirs. De ce point de vue, il apparait indéniable que le Sénégal a eu à faire preuve de temps forts démocratiques car il réunit les conditions citées en haut même si souvent on note des dérapages.

Le Sénégal a l’instar de plusieurs pays africains a célébré, il y a de cela deux ans, son accession à la souveraineté internationale, quel bilan faîtes vous de ces cinquante années d’indépendance ?

L’année a été l’occasion pour nombre d’analystes de tirer le bilan de l’action des différents gouvernements africains sur le dernier demi-siècle. Cependant, les gouvernements africains se sont distingués dans le choix
de deux stratégies différentes. D´une part une démarche libérale et d´autre part socialiste. La démarche libérale a promu une économie qui se repose sur l’exportation de matières premières, la mobilisation de l’épargne locale et étrangère, le développement des infrastructures économiques et sociales et la constitution de zones monétaires sous tutelle française, en ce qui concerne l’Afrique francophone. L’objectif primordial de cette stratégie était la croissance du PIB, signe d’évolution et de modernisation, sans que l’aspect de la redistribution des richesses et de l’encadrement du creusement des inégalités ne viennent au premier plan. Le résultat de cette stratégie libérale aura été une aggravation de la dépendance économique des États africains vis-à-vis de l’étranger. La stratégie socialiste passait quant à elle par une nationalisation de l’économie, une priorité donnée à la transformation locale des produits, à la création d’un tissu industriel local et au contrôle de la répartition des richesses. Cette stratégie se serait elle aussi révélée en grande partie être un échec. De « L’Afrique noire est mal partie » de René Dumont 1966, en passant par « Et si l’Afrique refusait le   développement ? » d’Axelle Kabou (1991), pour arriver à « L’aide fatale » de Dambisa Moyo (2009), c’est un afro-pessimisme permanent qui est cultivé. L´Afrique est prise aujourd´hui en otage par l´occident sur tous les plans (financièrement, politiquement et économiquement). Sur le papier l´Afrique est indépendante mais en réalité le maître continue toujours de dicter sa loi. Même si tout n´est pas négatif mais comparée au progrès des autres continents, notamment l’Asie qui, comme l’Afrique, a subi les souffrances du colonialisme, l’Afrique se range dans le peloton de queue. C´est à nous maintenant de changer la tendance en comptant sur nos propres efforts pour faire avancer le continent.

Au vu de la situation parfois préoccupante de certains pays de la sous-région ouest africaine, quels conseils donneriez-vous aux acteurs politiques sénégalais ?

Ils doivent être plus vigilants en montrant la capacité de surmonter des crises politiques. La situation géopolitique de la Casamance doit incomber toute la classe politique sénégalaise pour trouver des solutions à la crise. Le Gouvernement du Sénégal, les intellectuels et dignitaires religieux du pays doivent oeuvrer pour la consolidation de la paix. La situation préoccupante dans certains pays de la sous-région constitue non seulement un danger pour la région méridionale du pays mais surtout pour l´ensemble du Sénégal. Quelles que soient les divergences idéologiques et mêmes de convictions religieuses, nous avons tous besoin d’être ensemble, dans le cadre d’un large rassemblement, pour faire face aux menaces qui pèsent dans la sous-région.
Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL est conscient de la gravité des faits en affirmant au sommet des Chefs d´Etats de l´Union Africaine à Addis-Abeba que « La situation qui
prévaut au Mali constitue une grave menace pour ce pays frère mais également pour la sous-région ouest-africaine ». Il a proposé une opération militaire rapide sous mandat de l’Onu pour la libération du Nord du Mali et la lutte contre les groupes terroristes. Une stratégie que je salue car le Sénégal ne peut pas avoir la paix si la case du voisin brûle.


Je vous remercie Mr. Sokome.

Merci à vous aussi!














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